En panne de productivité et d’innovation, le pays enregistre depuis dix ans ses pires résultats, aggravés par le Brexit et la pandémie. Un problème d’investissement et de formation que Boris Johnson néglige à son tour.
Alors que le Premier ministre Boris Johnson vient de faire face à une motion de défiance et se débat dans le scandale du partygate, son pays est confronté à un défi autrement préoccupant: une croissance anémiée, qui menace de durer. Selon l’OCDE, au sein du G20, seule la Russie fera moins bien que le Royaume-Uni l’an prochain. Le problème tient en un mot: productivité. Autrement dit, la capacité de produire plus avec moins, principal facteur de l’élévation du niveau de vie.
Selon la théorie économique, on peut augmenter le rendement du travail par l’investissement. Celui-ci peut aussi progresser en améliorant la productivité totale des facteurs, qui mesure l’efficacité avec laquelle travailleurs et capitaux sont utilisés. Ce qui dépend en partie des pratiques managériales ou du degré de siècle, le pays était champion du monde de la productivité totale des facteurs, devant les Pays-Bas. En 1910, les Etats-Unis étaient en tête, avec des travailleurs 25% plus efficaces que les Britanniques. Le Royaume-Uni a maintenu son rang jusqu’à la crise financière de 2008, puis ce fut la chute libre la décennie suivante.
La sous-performance de l’économie entre 2008 et 2018 fut la pire en deux cent cinquante ans. Le Brexit, qui a dégradé les chaînes d’approvisionnement et alourdi les coûts, n’a évidemment rien arrangé. Pourtant considérés comme des points forts, les services financiers et informatiques, la production d’équipements de transport et les médicaments n’ont pas été épargnés. Divers éléments peuvent expliquer cette situation. L’un d’eux est qu’une prise excessive de risque dans l’industrie des services financiers a artificiellement gonflé le calcul de la productivité britannique dans les années 2000. Une autre explication est la tendance générale à l’amenuisement des bénéfices des évolutions technologiques. Si les causes de la maladie sont complexes, il est plus facile d’identifier les points sur lesquels le pays doit s’améliorer.
Compétences bloquées
D’abord, le Royaume-Uni investit moins que la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis et dépense moins en R&D. Autre problème: le financement. Outre-Manche, il est plus difficile qu’ailleurs de lever les fonds propres qui rendent possible la prise de risque. En outre, l’investissement est freiné par les restrictions imposées à toute nouvelle construction, ce qui fait monter les prix des logements et empêche l’installation de nouveaux venus qui pourraient travailler de façon productive. Depuis des décennies, le pays peine également à former ses citoyens pour qu’ils acquièrent les compétences dont l’économie a besoin. La coopération entre les établissements de formation professionnelle, l’enseignement supérieur, les entreprises et les autorités locales est minimale. La formation permanente reste un concept purement théorique. La qualité des dirigeants d’entreprise semble, elle aussi, poser problème: d’après une étude publiée en 2021, seulement 11% des sociétés britanniques étaient aussi bien gérées que les 25% des meilleures entreprises américaines.
Le nœud du problème est la diffusion du savoir. La productivité augmente lorsque des personnes hautement qualifiées travaillent avec des collègues tout aussi compétents et que les idées se répandent. Pour sortir de l’ornière, les solutions sont connues: il faut encourager l’innovation et aider les entreprises les moins productives pour les hisser au niveau des leaders. Un remède difficile à appliquer si nombre de ces sociétés à la traîne sont situées dans des régions déshéritées. Mais la localisation géographique n’explique pas tout. Même si le Royaume-Uni peut se targuer de posséder quelques-unes des meilleures universités du monde, le savoir qu’elles génèrent peine à profiter aux entreprises. Le pays met bien plus l’accent sur ces établissements que sur les laboratoires publics, qui se concentrent sur la recherche appliquée. En conséquence, les Britanniques enregistrent moitié moins de brevets que les Etats-Unis, la France ou l’Allemagne.
Incapacité à réformer
Les problèmes du Royaume-Uni sont donc nombreux et ne cessent de s’aggraver. La diminution de la concurrence internationale consécutive au Brexit sape le dynamisme industriel. Et d’après l’Office for Budget Responsibility (OBR), la productivité britannique serait de 4% inférieure au niveau qu’elle aurait si le pays était resté dans l’Union européenne. Certains espéraient que la pandémie serait l’occasion de passer à la vitesse supérieure. Mais si, dans un premier temps, la productivité a augmenté, c’est parce que les secteurs les moins productifs ont été mis à l’arrêt. En mars dernier, l’OBR a même fait savoir que la pandémie affecterait durablement la productivité, notamment parce que les entreprises ont augmenté leurs stocks de précaution.
Enfin, se pose la question de savoir si les décideurs politiques sont capables de réformer. Depuis qu’il a conquis une confortable majorité en 2019, l’actuel Premier ministre n’a rien accompli de sérieux. Il est vrai que des gouvernements bien plus compétents que celui de Boris Johnson n’ont pas fait mieux.
Nouveau bras de fer avec Bruxelles
On croyait le cauchemar des négociations sur le Brexit terminé. Mais le Premier ministre britannique et sa ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, ont rallumé le feu, avec la présentation d’un projet de loi revenant sur le protocole permettant à l’Irlande du Nord de rester dans le marché unique européen, en évitant le retour d’une frontière physique entre la province et la République d’Irlande, membre de l’Union. L’affaire est politique, sachant que les nationalistes irlandais ont gagné les élections en Ulster, mais sans majorité.
A Bruxelles, on s’offusque de ce coup d’éclat. “Il est inconcevable que le Royaume-Uni décide unilatéralement des modalités du marché unique européen”, tonne le vice-président de la Commission, Maros Sefcovic. Tout en laissant une porte ouverte à de nouvelles négociations. A Londres, l’affaire pourrait se retourner contre Boris Johnson tant les conservateurs sont divisés sur le sujet.
Source : Challenges